Dernièrement, le Service d’archives théâtrales de Théâtre & Publics a achevé l’inventaire, la description et la mise en ligne de l’entièreté des Cahiers Groupov *

… ainsi que la numérisation de quelques milliers de documents qui en font partie. Ceux-ci sont consultables en ligne via notre catalogue

* Les Cahiers Groupov (1980-1992), brève introduction

En janvier 80, à l’initiative de Jacques Delcuvellerie, un « Atelier de recherches permanentes sur les restes » commence ses travaux dans les locaux d’un ancien cinéma désaffecté, Ans-Palace, occupés par les classes d’Art Dramatique du Conservatoire royal de Liège. Ce collectif prendra le nom de Groupov.

Pendant 11 ans, il poursuivra recherches pures et créations scéniques sans aucun subside récurrent, seulement des accueils et des aides ponctuelles de certains théâtres et de la Commission d’Aide au Jeune Théâtre (plus tard : Commission d’Aide aux Projets). Après ces 11 années, il recevra une subvention annuelle extrêmement modeste mais élargit considérablement son réseau d’accueils et de coproducteurs et finit par bénéficier d’un contrat-programme. Il connaîtra par la suite un développement continu en termes de moyens financiers et de partenaires nationaux et internationaux.
Puis il est délibérément assassiné par deux coupes budgétaires successives, l’une de 60% en 2015, l’autre de 100% en 2018.

Pendant la longue période où le Groupov ne dispose ni d’argent régulier, ni d’infrastructure (pas de locaux de répétition, pas de bureaux, pas de secrétariat, pas de matériel), autour de lui, l’informatisation est encore inexistante ou très faible dans toutes les entreprises. Ces deux facteurs concomitants expliquent pourquoi toutes les traces écrites ou iconographiques de ses travaux pendant une dizaine d’années, ont été regroupées dans de gros classeurs désignés comme « Cahiers Groupov ».

Les Cahiers Groupov couvrent donc cette période de 1980 à 1991/92. Ils sont au nombre de 18 ou 19 – cette incertitude tenant au fait qu’à la fin des années 80 et au début des années 90, Groupov continue à réunir des documents dans ces classeurs, tout en commençant à archiver aussi par d’autres moyens. Par ailleurs, la croissance des activités va dépasser bientôt complètement la capacité de ces classeurs « généralistes » pour diversifier l’archivage en correspondance, comptabilité, manuscrits et tapuscrits, photos, mais aussi : cassettes audio, cassettes vidéo, livres édités, films, CD, etc.

Dans la quinzaine de premiers Cahiers Groupov sont réunies les traces les plus hétérogènes : écrits théoriques, poétiques, dramatiques, lettres internes, lettres vers l’extérieur, textes circulant en référence à des expériences ou à des débats, extraits de presse, notes de lecture, consignes de travail, et – peut-être le plus important : comptes-rendus de séances expérimentales ou de réunions. Tout cela sur les supports les plus divers et, souvent, les plus fragiles, depuis le carton de bière griffonné dans un café, jusqu’à des doubles (par papier carbone) sur du papier pelure. D’où l’importance aujourd’hui que tout cela ait pu être digitalisé.

Importance, en effet, si l’on veut un peu sentir, deviner, éprouver, de quoi était faite la vie créative et comment s’inventaient les processus d’accouchement du Groupov.

Deux exemples. On trouve dans Cahier Groupov 1 (1980), le compte-rendu par Jacques Delcuvellerie d’un week-end particulièrement perturbé à la suite d’un premier « exercice-repas » expérimenté à Ans-Palace. Le Groupov y avait vécu un long moment de travail d’une grande intensité, soudain brutalement interrompu par le gérant du lieu. Nous avons donc affronté ensuite un problème jusqu’ici inconnu et que j’ai appelé : l’énergie restante. Que faire de cette énergie (voire de ces conflits d’énergies) générée par l’expérience et soudain privée de moyens de s’exprimer ?

C’est alors qu’à « chevaucher le tigre », celui-ci retrouve de sérieuses chances de vous croquer.

Autre exemple : dans le Cahier Groupov n°6, Jacques Delcuvellerie tient une sorte de journal du premier grand « décalage » organisé par lui-même et Francine Landrain dans la préparation de la troisième création du collectif : « Comment ça se passe » (1984).

Ce journal décrit les dispositifs et les règles inventés pour « décaler » tous et chacun pendant quinze jours. Il relate notamment certains phénomènes étranges qui se sont produits entre lui et Délia Pagliarello pendant la période de ce décalage où ils ont été assignés à vivre ensemble.

Les Cahiers Groupov réunissent donc des matériaux extrêmement divers et, sans aucun doute, d’un intérêt inégal. Mais, à ceux que les processus fascinent presqu’autant que les œuvres elles-mêmes, ils parleront peut-être encore.

Jacques Delcuvellerie

N.B.  Dans ce souci de rendre compte à la fois de la gestation de processus et d’une réflexion théorique en interaction avec elle, le collectif a publié deux « Cahiers Groupov » conçus comme des numéros d’une revue paraissant périodiquement. Les moyens disponibles n’ont pas permis de poursuivre ce projet. Les deux numéros édités sont thématiques :

– « TRASH (a lonely prayer) » Marie-France Collard et Jacques Delcuvellerie, en coédition avec la Rose des Vents à Villeneuve d’Ascq à l’occasion de leur accueil du spectacle (novembre 93). Ce Cahier Groupov ne comprend pas seulement le texte intégral du spectacle, il détaille également son processus d’accouchement (écriture et mise en scène), très concrètement.

– « LE JARDINIER (… et avec lui la vie d’un homme). Le Groupov et la formation de l’acteur ». Cahiers Groupov n°2 (décembre 1997). Textes sur la pédagogie et, entre autres, le journal d’un Atelier Ici/Maintenant, par un observateur extérieur.

 

Ces deux Cahiers sont édités exactement dans la même présentation (couleurs, format, typographie, etc.).

Des écrits ultérieurs de même nature ont été publiés dans divers ouvrages et revues ou figurent dans l’ouvrage : « Sur la limite, vers la fin. Repères sur le théâtre dans la société du spectacle à travers l’aventure du Groupov ». Jacques Delcuvellerie.

Éditions Groupov et Alternatives Théâtrales 2012. Un certain nombre sont toujours inédits.